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- 1. Jean-Joseph Bellel (1816-1898)
Paysage rocheux, 1852
Huile sur toile – 73 x 96 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
Il n’est pas trop tard, il n’est jamais trop tard pour parler d’une chose aussi rare et bienvenue que l’est un catalogue de musée. De Narbonne, à la date de juin 2009 mais guère diffusé jusqu’à présent [1], nous vient ainsi un catalogue complet du fonds de peintures de ce musée fondé en 1833 mais qui n’avait plus rien fait paraître à ce sujet depuis 1923 [2]. Les musées, on le sait, ont pour eux l’éternité… En plus, nous voulons aujourd’hui, siècle de l’image oblige, des catalogues intégralement illustrés et, si possible, en couleurs, même si le bon vieux noir et blanc reste infiniment plus lisible. C’est ce que nous propose très opportunément Jean Lepage, vertueux conservateur qui vient juste, comme symboliquement, de prendre sa retraite (il entra en fonction en 1979 [3]) après avoir achevé ce grand, utilissime travail de catalogueur qui, ailleurs, lasse trop souvent les bonnes volontés : tout reclasser, remesurer, photographier, vérifier les provenances, préciser les sujets des tableaux, les attributions, la bibliographie, même s’il ne s’agit ici que d’un catalogue « sommaire », forcément prudent. L’angélique simplicité des ouvrages de ce type fait certes oublier le désordre souvent indescriptible qui en règle générale leur préexiste, infernal magma des réserves de musée où tant d’œuvres, peu ou mal triées, bien souvent décadrées, autre écueil matériel à signaler, s’empilent, se détériorent, s’oublient... Avec un significatif humour, Jean Lepage a mis en exergue de son catalogue quatre petites reproductions édifiantes qui suffisent à évoquer – cruellement – l’envers ordinaire du décor [4]. Et de souligner dans son introduction que le musée de Narbonne, comme tant d’autres, a inévitablement subi quelques pertes – il est vrai peu nombreuses –, sans oublier le problème assez classique de ces grandes (trop grandes) toiles du XIXe siècle qui, victimes de leurs sujets démodés et de leurs incommodes et imprudents formats, ont été déplorablement évacuées dans les années 1950 (à Narbonne, point de drames et d’excuses de guerre, juste l’incurie et les fatales humeurs d’un goût d’époque) : roulées, elles ne purent être photographiées et reproduites dans le nouveau catalogue [5] , au grand dam du conservateur qui a voulu particulièrement satisfaire à l’exigence de l’exhaustivité (tout cataloguer, tout reproduire, même les œuvres médiocres et les copies).
Mais la vie d’un musée, si elle doit être impérativement synonyme de réorganisations et de reclassements très salvateurs, est faite aussi d’enrichissements et de perfectionnements. A Narbonne, le seul fait comptable aurait suffi à toutes les justifications : le vaillant maître des lieux n’a eu de cesse d’enrichir son musée par une très active politique d’acquisition – achats et dons –, parallèlement à la multiplication de prêts et d’expositions mettant en valeur les forces du fonds comme la réputation du fait régional et ce, pour la meilleure gloire et illustration du Languedoc. Soit un bilan de 730 peintures, à présent toutes recensées et illustrées (en couleurs) dans le catalogue de 2009, là où celui de Berthomieu, en 1923 n’en comptait que 423 et n’en reproduisait que 32 [6]. L’impérieuse utilité d’une pareille publication se passe de commentaire : elle nous révèle un musée de Narbonne tout à fait différent. Et comment ne pas souligner qu’il est infiniment préférable que de tels catalogues, gage de permanence et de facilité d’accès, soient édités sur papier plutôt qu’en ligne afin de permettre la vraie consultation qu’impose l’histoire de l’art ? Alors, prenons-nous à rêver : si tous les musées de France étaient ainsi peu à peu couverts, nous pourrions enfin disposer d’une image grandiose et forte, car fondée en vérité, de notre patrimoine national (public). Célébrer les richesses artistiques du pays ne relèveraient plus du plat et facile lieu commun. Et comme l’histoire de l’art, toujours guettée par les préjugés des goûts et des modes, n’en respirerait que mieux !
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- 2. Hippolyte Lazerges (1817-1887)
L’Albane dans son atelier
Huile sur toile – 28 x 36 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 3. Charles Galleri (actif au XVIIe siècle)
Les Consuls de Narbonne pour l’année 1600
Huile sur toile – 180 x 310 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
La seule critique ou presque que l’on pourrait adresser au nouveau catalogue narbonnais – il en faut quand même un peu [7] ! – c’est qu’il ne comporte pas d’index des provenances qui ferait immédiatement apparaître la lisibilité historique du fonds, disons sa progressive constitution. Ainsi, l’exemple de Narbonne ne diffère guère, somme toute, du cas des autres musées fondés à l’époque, en ce qui concerne les dépôts ou envois de l’Etat si souvent décriés et… malmenés. Relativement nombreux – à Narbonne, en plus d’un siècle et demi, on en compte environ 70 –, ils résistent mieux, pour parler qualité et histoire de l’art, qu’on ne pourrait le penser, le bienfaisant recul du temps jouant ici son rôle. Profitons donc de ce qu’ils sont pour la plupart reproduits pour la première fois. L’abondance des paysages à cet égard ne peut manquer de retenir l’attention, notamment dans les envois effectués sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire et dans les débuts de la IIIe République : énumération impressionnante que celle des Dagnan (1842 et 1844), Brune (1846), Th. Blanchard (1848), Jadin (1849), Tanneur (1849), Brissot de Warville (1852), Ed. Bertin (1853), Bellel (1855) (cat. 32, ill. 1), Dauzats (1862), Ponson (1866), Lavieille (1869), Thomas (1871), Letrone (1875), Groseilliez (1879), etc. Comment écrire alors une (exigeante) histoire du paysage si l’on doit faire l’impasse sur toutes ces ressources ? De son côté, la noble peinture d’histoire aligne, nullement négligeables, des envois aux noms parfois peu connus – raison de plus pour s’y intéresser ! – comme ceux de Brémond (1835), Fournier de Berville (1836), G. Boulanger (1850), Longuet (1852), Lazerges (1857), un artiste natif de Narbonne (cat. 286, ill. 2), F. Girard (1864), Gigoux (1867), Dupain (1875), E. Michel (1875), Vély (1875), Layraud (1881), Roger (1898), etc. Et n’oublions ni le genre avec Villain (1855), Hédouin (1868), Jeanniot (1921), ni l’évocation florale ou animalière avec Bayle (1845) ou Monginot (1875), ni même le portrait avec le Louis-Philippe de Barthe (1837). Exposés ou non, tous ces envois de l’Etat seront désormais sauvés par leur illustration dans un durable catalogue (un qualificatif à la mode qui s’accorde aussi avec équitable !) : à chacun d’eux de retrouver vie et d’entraîner réhabilitations et réajustements [8].
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- 4. Pieter de Grebber (vers 1600-1652/1653)
Saint Augustin
Huile sur toile – 71 x 59 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 5. Gaspare Traversi (vers 1732-1769)
Mendiant accroupi
Huile sur toile – 55 x 68 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 6. Jan I Brueghel (1568-1625)
Etudes de tête d’un brocard
Huile sur bois – 20 x 23 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
Saisi tel quel dans sa suggestive diversité, le fonds de peintures de Narbonne se montre typique d’un musée fondé sur l’initiative préfectorale en 1833 et porté par un petit milieu élitiste, même s’il y a absence ici d’une Ecole des Beaux-Arts, – milieu de bourgeois aisés qui sont en même temps des collectionneurs cultivés et motivés à l’image d’un Maurice Peyre, principal bienfaiteur du musée de Narbonne du fait de son insigne legs de 1859. Que soient encore cités ici les noms d’autres amateurs dévoués – le privé au service du public ! – tels que Barathier, Bouisset, Cauvet, Chaber, Coussières, Tournal [9], certains étant comme il arrive souvent au XIXe siècle des artistes (les peintres Barthe et Rouanet). Il nous faut insister aussi sur le rôle déterminant d’une « Commission archéologique », où sans doute agissaient les amateurs cités plus haut, laquelle fédère les efforts et agit en place et lieu de la ville, guère disposée ni préparée à s’investir dans la vie d’un musée (longtemps, on en conviendra, les musées ont peu coûté aux villes !). Doit être mentionnée au passage l’heureuse exception de départ que constituent les portraits des Consuls de Narbonne, datant des années 1590-1640 (cat. 197, ill. 3) [10], d’autant qu’il y eut osmose entre le musée et l’Hôtel de Ville qui l’accueillit dès l’origine comme c’est le cas dans tant d’autres villes à cette époque, soit une spectaculaire série de portraits municipaux, comparable à ceux des Capitouls de Toulouse, une spécialité assez bien sauvegardée dans le conservateur Midi et faisant en quelque sorte pendant à la riche peinture nordique de portraits corporatifs de Flandre et de Hollande. Autre apport appréciable, celui de quelques tableaux religieux intelligemment transférés au musée au cours du XIXe siècle (Mignard, Champaigne, Gamelin, attribué à Quellinus, Grebber - cat. 666, ill. 4) [11], etc.) notamment grâce aux bonnes relations de la Commission archéologique avec les fabriques d’église.
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- 7. Wolfgang Adam Töpffer (1766-1847)
L’arrivée de la diligence, 1807
Huile sur toile – 41 x 52 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 8. Pierre Duval Le Camus (1790-1854)
Un petit savoyard, dit aussi Le petit ramoneur, Salon de 1824
Toile – 22 x 17 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
Pour en revenir à Maurice Peyre, figure tutélaire s’il en est du musée de Narbonne, sans lui cet établissement n’aurait pas disposé d’un ensemble fort appréciable de peintures italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles qui viennent utilement nuancer un fonds richement doté en peintures du XIXe siècle, id est la peinture moderne de l’époque (nos musées n’ont-ils pas toujours cédé à la tentation de l’art contemporain, comme on le voit de plus en plus aujourd’hui ?). Grâce à Peyre, félicitons-nous justement de la présence méritoire, presque contraire à la norme habituelle, de tous ces Brandi, Codazzi, Fieravino, Ferretti, Lorenzo Lippi – très bel exemple de sa manière – Garzi, Nuvolone, Grassi, Graziani, Todeschini, Traversi (cat. 625, ill. 5) – l’un des chefs-d’œuvre de la collection, etc. – Un Peyre qui ne néglige pas pour autant les Nordiques : Van der Cabel, Egbert van Heemskerck, Voet, Adriaen van Utrecht, Lairesse, Brueghel de Velours dont on ne peut plus oublier la délicieuse étude de Têtes de brocards (cat. 652, ill. 6) révélée par l’exposition du Siècle de Rubens dans les collections publiques françaises en 1978, et jusqu’à un rarissime (en France du moins) et inattendu A.W. Töpffer, L’Arrivée de la diligence de 1807 (ill. 7) [12], œuvre d’un peintre qu’on admire surtout à Genève… et qu’il faut savoir mettre en perspective avec le grand Boilly [13]. De fait, le Töpffer intelligemment légué par Peyre fut le premier à être entré dans un musée français, suivi en 1875 par Lyon et… par le Louvre, en 2002 seulement.
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- 9. Auguste Couder (1790-1873)
Tête d’étude de jeune homme
Huile sur toile – 48 x 39 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 10. Réattribué ici à Auguste Couder (1790-1873)
Tête d’étude de jeune homme
Huile sur toile – 46 x 38 cm
Gray, musée de Gray
Photo : RMN / René-Gabriel Ojéda - Voir l´image dans sa page
L’Ecole française n’est pas en reste. Rien qu’avec Peyre, toujours lui décidément, Narbonne se diversifie en tableaux du XVIIIe siècle (Greuze, Nattier, Nonotte, Marguerite Gérard, Prud’hon, Lépicié, Bruandet, Vien, Drouais, Louis-Michel van Loo), comme du XVIIe (Jean de Troy, Patel, Lefebvre, Mignard, Rigaud), cet heureux collectionneur-donateur ne pouvant bien sûr négliger son cher XIXe siècle (Duval Le Camus avec l’attachant Petit ramoneur (cat. 167, ill. 8) du Salon de 1824, mais aussi le peintre « troubadour » François Colin, Watelet, Guérin (?), Couder (cat. 117, ill. 9) [14], etc.). Grâce à la reproduction de cette Etude de tête (d’un jeune homme) peinte dans la tradition de David par Auguste Couder (1790-1873), signée, nous pouvons au passage sortir de l’anonymat une bonne réplique, quant à elle non signée, donnée au Louvre (ill. 10) en 1994 par Norbert Ducrot-Granderye (inventorié comme Ecole française, début du XIXe siècle) et déposée la même année à Gray. Voilà qui justifie bien les publications exhaustives…
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- 11. Jacopo Robusti, dit Le Tintoret (1518-1594)
Vierge en gloire et saints
Huile sur toile – 297 x 182 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
La même curiosité-reine de l’époque, quelque peu balzacienne, honore les démarches parfois inégales et pourtant souvent heureuses – le constat vaut déjà pour le prodigue Peyre – qui sont celles d’un Mathieu Barathier : Fontebasso, A. Loir, Le Sueur ou son école, Gamelin, David (?), Boucher (?), ou d’un Pascal Barthe aux choix d’artiste (ce membre de la famille du célèbre ministre du même nom [15] favorise le musée en lui cédant directement en 1842 le rare Despesches de 1603 (?) – mais aussi des peintures de Gauffier, L.A. Gérard, Gamelin, Rigaud, Ghislandi, Jan de Beer (?) et … nombre d’anonymes. A citer encore Alfred Chaber, de Montpellier, qui offre des grands noms – y croit-il toujours ? (Poussin, Le Baroche, Raphael, Rubens [16]) mais donne aussi et surtout un valeureux Tintoret, Vierge à l’Enfant et saints (cat. 622, ill. 11), et de bons Italiens plus humbles (Danedi, Beccaruzzi) [17]. Des relations flatteuses valent même au musée la considération d’amateurs mondains comme le prince Demidoff (impeccable tableau d’Ommeganck) ou le fameux Aguado (Garofalo, Valdes Leal,). Quand le musée lui-même ou bien la très présente et active « Commission archéologique » (son rôle décline à la fin du XIXe siècle et disparaît en 1945) procèdent à des achats – difficile en ce cas de distinguer ce qui revient explicitement au seul musée ou à la Commission –, la peinture des écoles étrangères n’est pas dédaignée (ensemble de toiles animalières de Baldassare de Caro acquis en 1833, important tondo de Neri di Bicci en 1839, beau Ghislandi provenant de Barthe déjà cité, remarquable Carducho acquis en 1846, mais le Pieter II Brueghel élu en 1842 est de série …).
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- 12. Florent Despesches (actif au moins depuis 1586, mort en 1637)
et atelier de Pieter Coecke (1502-1550)
Triptyque : Sainte famille (atelier de Coecke) au centre ;
orants et saints (Despesches) sur les volets, 1603
Huile sur bois – 103 x 71 cm (centre),
103 x 31 cm (chaque volet)
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 13. Atelier de Pieter Coecke (1502-1550)
Triptyque : Sainte famille au centre ; saintes sur les volets
Huile sur bois – 92 x 58 cm (centre), 91 x 24 cm (chaque volet)
Londres, vente chez Sotheby’s, 11 décembre 1974, n° 108
Photo : Catalogue de la vente - Voir l´image dans sa page
Quant à l’école française, elle est évidemment favorisée avec un compréhensible quotient local ou régional. Relevons ainsi l’achat du triptyque (cat. 151, ill. 12) aux volets signés de Florent Despesches signalé plus haut qui dut plaire en ces années 1840 de « revival » du Moyen Age, le panneau central étant manifestement redevable à l’atelier de Coecke (ill. 13) [18], tel Vésuve de l’inlassable Volaire, ou bien l’intérêt porté à des gloires régionales, facile à justifier quand il s’agit du Toulousain Rivalz ou du Carcassonnais Gamelin (cat. 208, ill. 14), ce dernier particulièrement bien suivi avec pas moins de neuf tableaux, tous acquis ou presque auprès d’amateurs narbonnais entre 1846 et 1856 (Barthe et Barthier, toujours eux, et plus encore le peintre local Rouanet duquel le musée se porte en 1855 acquéreur de cinq peintures dudit Gamelin) [19].
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- 14. Jacques Gamelin (1738-1803)
Les sœurs de la Charité en prière devant saint Vincent de Paul,
leur saint patron, 1786
Huile sur toile – 178 x 121 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 15. Clément Boulanger (1806-1842)
La fontaine de Jouvence, 1839
Huile sur toile – 210 x 165 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
Attestant du goût de l’histoire qui retient si facilement les gens du XIXe siècle, les acquisitions de portraits sont en nombre (Brocard [20], Ranc, Rigaud, Vien). Mais, bien sûr, la peinture même de l’époque est encore plus recherchée comme on pouvait déjà l’observer à propos des envois de l’Etat [21]. Sont ainsi acquis des paysages de Courdouan, Ouvrié, Th. Richard, L.A. Gérard, Ponson, Lapito, Léopold Leprince, E. Fil, un Narbonnais, notons-le, Vernier. Ou bien, en peinture d’histoire, des œuvres de Clément Boulanger (cat. 68, ill. 15) et d’Alfred De Dreux – des tableaux de premier ordre [22] –, ainsi que de Mauzaisse, Garneray, Brisset ou de l’alerte Jules Boilly (cat. 56, ill. 16) [23], le fils du plus célèbre Louis. Et pour la peinture de genre qui plait toujours par son charme anecdotique il faut noter les noms de Delattre, Xavier Leprince, Roqueplan, A. Legrand, Veyrassat, etc. A signaler au passage maints dons d’artistes, montrant la bonne intelligence du musée et du petit monde des collectionneurs de l’endroit avec les milieux artistiques parisiens (telle Junon jalouse, irrésistiblement stylisée par l’ingresque Galimard (cat. 199, ill. 17) – don de 1869 –, l’excellente Porte de Mars à Reims de Dauzats, donnée par l’artiste en 1853, soit l’un des plus beaux tableaux du musée, une franche vision orientale de P.F. Lehoux, offerte en 1881, qu’il ne faut pas confondre avec P.A. Lehoux, auteur d’un déclamatoire et assez encombrant Suicidé, remis par ce dernier au musée, en 1882 [24]… De ce survol proprement idéal [25] – celui que permet un catalogue qui donne tout à voir, d’emblée, en une fois – ressort fortement un constat qui vaudrait hélas ! pour bien d’autres musées de l’époque. A savoir que le dynamisme optimiste des débuts, – l’ère des Barathier, des Barthe et autres Peyre – s’en va glisser peu à peu à partir de la IIIe République, ce qu’aggrave encore la fatale Grande Guerre, dans une sorte de léthargie à couleur de médiocrité : acquisitions par achat ou don, tout à la fois clairsemées et bien moins brillantes.
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- 16. Jules Boilly (1796-1874)
Dante à Vérone
Huile sur toile – 115 x 156 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 17. Auguste Galimard (1813-1880)
Junon jalouse, Salon de 1849
Huile sur bois – 89 x 46 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
Passé 1900, c’est un fait que les curiosités se font de moins en moins internationales (une notable exception est le Knupfer (cat. 672, ill. 18) du legs Gautier en 1911, l’une des rares œuvres de ce bel artiste para-rembranesque dans les collections publiques françaises). Même dans le plus accessible et même foisonnant XIXe siècle, il y a peu à retenir, mis à part une puissante réunion de quatre Dehodencq (cat. 140, ill. 19) légués par Joseph Romain en 1922 [26] et un farouche Jules Laurens (le Château d’Algue en Aveyron) transmis par les héritiers du peintre en 1906, ainsi qu’un imposant paysage barbizonnesque de Charles Leroux, lui aussi finement offert par ses descendants (1927). Sonne ici comme une tardive réparation la terrifique Mort d’Absalon de Gilbert de Séverac (cat. 458, ill. 20), du Salon de 1869, opportunément acquise en 1993 auprès des descendants de cet artiste fort peu connu, encore une révélation du catalogue (Jean Lepage reproduit le tableau à dessein en pleine page). Après 1945, entrent toujours aussi peu de peintures anciennes (E. van der Broeck, Gamelin), comme si la France se vidait peu à peu. Signalons tout de même une avenante paire de portraits de notables du XVIIIe siècle par Roslin, donnée en 1985.
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- 18. Nicolaes Knupfer (1603-1660)
Zorobabel devant Darius
Huile sur bois – 69 x 53 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 19. Alfred Dehodencq (1822-1882)
Le départ des mobiles de la Seine, 1870
Huile sur toile – 88 x 132 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 20. Gilbert de Séverac (1834-1897)
La mort d’Absalon, Salon de 1869
Huile sut toile – 46 x 91 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
Tranche ici la vigoureuse et très personnelle politique d’acquisitions menée par Jean Lepage, essentiellement axée sur l’orientalisme au sens le plus large – allant du XIXe à un XXe siècle largement entamé. De quoi honorer sans doute une certaine nostalgie algérienne, bien compréhensible dans un Midi où se sont, comme l’on sait, fixés nombre de rapatriés d’Afrique du Nord. Peu de musées en tout cas marquent une telle confiance du public, à en juger par la multiplicité et la qualité des dons comme par les effort budgétaires continus de la ville, ce qui donne à ce vieux musée une actualité inattendue et lui garde un vrai sens, histoire de faire pour une fois mentir la crise de confiance de l’institution musée (on connaît l’antienne : rétrogrades, élitistes, inutilement coûteux, les musées ; fermons-les s’ils rapportent peu !). Le rassemblement opéré ici, souvent à partir des salles de vente, une moisson étonnamment rapide, est vaste et varié, qui va d’un orientalisme post-romantique, prioritairement paysagesque, très XIXe siècle (y brillent par exemple Lazerges et Pils, Nanteuil, Isabey, Rogier, Hédouin, Berchère, Lecomte du Nouy, Mouchot, Benjamin-Constant et tant d’autres, ne manque même pas en ce cas l’inévitable Dinet) jusqu’à une expression orientaliste plus tardive, nettement XXe siècle, jouant d’une savoureuse peinture libérée et vivement colorée (Majorelle, Génicot, Marius de Buzon, Bezombes avec ses Désenchantées (cat. 48, ill. 21) de 1939, œuvre marquante de ce coloriste hors pair, Suréda, Morère, Cauvy, Bascoulès dont l’imposante Noce juive force l’attention, etc.). On se félicitera justement que soient montrés ici de tels peintres figuratifs – ce n’est pas forcément une tare ! –, tenants d’une certaine modernité du premier XXe siècle, quand ils sont désormais absents, on peut bien dire proscrits de nos habituels grands musées d’art moderne (à vrai dire bien plus contemporain que moderne dans toute l’acception historique et donc scientifique du mot). Il n’est pas mauvais qu’on puisse en voir, même en dehors du musée (refuge) des Années 1930 à Boulogne-Billancourt ou de celui de la Piscine de Roubaix qui a judicieusement recueilli tant d’œuvres de feu le musée national d’art moderne du Palais de Tokyo, et ne parlons pas non plus du défunt MAAO, le musée des Arts africains et océaniens, trompeusement remplacé par celui dit du Quai Branly… Rendons-nous compte que l’éventail de nos curiosités, si l’on n’y prend garde, risque à la longue de singulièrement se restreindre. A cet égard, l’effort d’élargissement tenté à Narbonne est aussi sympathique que prometteur, même au prix de quelques choix hasardeux qu’il faut bien assumer (tout ne sera pas forcément ratifié par la postérité).
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- 21. Roger Bezombes (1913- 1994)
Les désenchantées, 1939, Salon d’Automne de 1940
Huile sur bois – 167 x 150
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
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- 22. Paul Sibra (1889-1951)
Les voix de la France, 1924, Salon des Artistes français, 1925
Huile sur toile – 167 x 167 cm
Narbonne, Musée d’art et d’histoire
Photo : Musée de Narbonne - Voir l´image dans sa page
Cet orientalisme très choyé n’a pas pour autant délogé le toujours légitime régionalisme languedocien, quand bien même ce dernier serait-il d’un maniement délicat. Il peut compter au moins sur quelques bons artistes, dûment justifiés par leurs origines strictement narbonnaises (Laprade) ou plus largement régionales (l’enchanteur Laugé, le fidèle Monfreid avec quelques solides et francs portraits), mais il faut citer surtout un étonnant peintre décorateur des années 20, Paul Sibra (cat. 459, ill. 22), qui a eu bien sûr les honneurs d’une efficace exposition à Carcassonne et Narbonne en 1992 : on ne saurait dès lors oublier la convaincante stylisation de ses patriotiques Voix de la France de 1924, entrées par don familial au musée en 1993 [27]. Impeccable et heureux apport régional !
Ah ! si tous les musées faisaient aussi bien leur travail que Narbonne, lequel, lucide et courageux dans ses libres choix, ne cesse d’engranger sans oublier ensuite de le faire savoir par une salutaire et vigilante publication…
Jean Lepage, Les peintures du musée d’art et d’histoire de Narbonne, éd. Ville de Narbonne, 2009, 276 pages, 28 €. ISBN 9782905677228.
Voir aussi le courrier de Jérôme Montcouquiol